L’histoire du quartier des Marolles est intimement liée à celle de la ville de Bruxelles.
En 997, Bruxelles ou plutôt Bruoscella voit le jour au milieu de marais sous la forme d’une petite place forte dit castrum. Celle-ci est édifiée sur l’île Saint-Géry qui sépare la Senne en deux. Il ne reste aujourd’hui de cette île que le quartier du même nom.
Des habitations et autres édifices viennent progressivement entouré ce lieu de défense pour donner un bourg cerné de prairies et terres cultivées.
Parmi ces lieux maraîchers, en 1134, s’élève une chapelle dédiée à Notre-Dame ainsi que quelques maisons d’artisans.
A un kilomètre de là, le long d’une ancienne voie romaine, diverticulum, s’établit une léproserie.
Entre ces deux lieux grandira le quartier des Marolles. La chapelle deviendra l’église du même nom et la lèproserie l’hôpital Saint-Pierre. Le diverticulum répondra au nom de rue Haute.
Au cours du 12ème et 13ème siècle, Bruxelles s’entoure d’une première enceinte : les Marolles en sont exclues car ces murailles servent moins à défendre la ville contre les ennemis extérieurs qu’à maintenir à l’écart les artisans ou les pauvres prompts à la révolte.
Le soir, au son de la cloche qui annonce la fermeture des portes, ouvriers, mendiants ou exclus doivent quitter les lieux… D’où le nom de clochards qui y trouve son sens originel.
Les « rejetés », tout au long des 14ème et 15ème siècle, fomentent des émeutes répétées.
Les Marolliens, tisserands et autres, se révoltent et réclament des droits politiques.
Une deuxième enceinte englobe les Marolles en 1383 : de nombreux petits métiers s’installent dans le quartier, rappelés par le nom des rues actuelles : rue des Tanneurs, des Orfèvres, des Chaisiers, des Brodeurs, des Charpentiers, …
La population s’agrandit mais la tension persiste et même s’accroît … Ainsi, par exemple, en 1405 (ou peut-être en 1360, les historiens hésitent …) les Patriciens, pour mater cette foule trop nerveuse, allument un incendie qui anéantira 2.400 maisons et 1.400 métiers à tisser !
Devant l’importance de la pauvreté dans les Marolles, dès le 17ème siècle, de nombreuses congrégations religieuses viennent s’installer : les Brigittines, les Minimes, les Capucins et les Sœurs Apostolines. Ces dernières dont la devise est Mariam Collentes sont surnommées les Sœurs Maricolles. L’élidation du mot aboutira à Marolle pour définir le quartier où sont implantées les sœurs.
Des couvents, il ne subsiste que quelques églises qui marque le quartier mais de cette époque reste une tradition bien ancrée : les Marolles sont le lieu de passage, de transit vers la ville. Wallons, Espagnols, Juifs, Polonais, Italiens et tant d’autres s’y sont succédés jusqu’aux Maghrébins, aux Africains et aux Roumains d’aujourd’hui.
Au 19ème siècle, les Marolles s’urbanisent de plus en plus. Le quartier connaît une intensification de son bâti. Des lieux se créent qui vont marquer définitivement le cadre de vie.
Une nouvelle congrégation s’installe au 150 rue Haute : Les Filles de la Charité de Saint-Vincent de Paul. Leur couvent se transformera en orphelinat, puis en école et, enfin, dans un même état d’esprit, en logements pour des familles défavorisées.
Sécurité oblige, les autorités percent, à travers les ruelles et impasses du quartier, une nouvelle artère rectiligne qui permet un meilleur contrôle policier : la rue Blaes.
L’Hospice des Aveugles, la Caserne des Pompiers et la place du Jeu de Balle viennent compléter la liste des lieux symboliques du quartier.
Cette place du Jeu de Balle ou Vosseplein accueille tous les matins depuis 1873 le Vieux Marché, bien connu pour son brol au-delà même de nos frontières.
Mais, à cette époque, c’est surtout la construction du Palais de Justice qui va marquer la mémoire des Marolliens.
Le Palais de Justice, œuvre de Poelaert, se construit sur le Galgenberg ou Mont des Pendus, lieu des exécutions au Moyen-Age. La plus grande construction d’Europe mais aussi les premières expropriations dans les Marolles : des « bâtisses, dit-on, d’une médiocre importance dont les frais d’acquisition seront aussi restreints qu’on peut l’espérer ».
D’où l’injure suprême, bien connue et si propre aux Bruxellois : schieve, rotte ou veuille architekt !
Le 19ème siècle, c’est aussi la Révolution Belge, 1830, où de nombreux Marolliens montent sur les barricades et luttent pour l’indépendance aux côtés de Charlier Jambe de Bois.
C’est encore le café du « Mouton Bleu », anciennement aux Brigittines aujourd’hui sur le Vieux Marché où le leader progressiste Jakob Kats organise des réunions d’ouvriers et fonde en 1848 la « Ligue Belge pour le Suffrage Universel ».
C’est enfin la Maison du Peuple de Victor Horta, inaugurée le jour de Pâques 1899 à la lisière des Marolles : « La Pâque Rouge », titre le journal « Le Peuple ».
Le début du 20ème siècle connaît une nouvelle agitation : grèves et combats violents se succèdent rue Haute et place de la Chapelle en vue de l’obtention du suffrage universel.
Pendant la première guerre mondiale, la crainte d’un soulèvement est telle que l’occupant pointe, en permanence, un canon sur la rue Montserrat depuis l’esplanade du Palais de Justice.
L’entre-deux-guerres, voit l’arrivée de nouvelles populations : Juifs d’Europe centrale, Républicains espagnols viennent à leur tour apprendre le pays et s’y intégrer à travers la vie rude mais conviviale des impasses surpeuplées.
Lors de la seconde guerre mondiale, le centre du « marché noir » s’établit rue des Radis, mais les habitants du quartier rivalisent aussi pour cacher tant et tant de Juifs tout au long du conflit.
Qui, à Bruxelles, ne se souvient également de l’enterrement d’Hitler célébré « en grande pompe » à la libération devant une foule incroyable ?
Puis le quartier reprend sa vie traditionnelle, avec sa principale activité économique : la récupération de vieux métaux, chiffons et brol. Dès 4 heures, les premiers chineurs se rendent sur les décharges publiques tandis que d’autres sillonnent les rues de la ville au cri bien connu de « voden en been ».
Pourtant la pauvreté est extrême, le logement pénible dans les ruelles et impasses où la population grouille mais où, par exemple, les sanitaires font défaut.
Certains cafés, dits cafés-logement, accueillent les plus démunis pour la nuit : on y dort soit sur un lit, soit à la corde, c’est-à-dire assis sur une chaise et appuyé sur une corde tendue à travers l’établissement. Le matin , la patronne n’a plus qu’à dénouer la corde pour réveiller tout le monde.
En 1952, Sa Majesté le Roi Baudouin visite, incognito, le quartier en compagnie de l’abbé Froidure : la gravité de la situation le frappe et l’émeut particulièrement.
A partir de 1959, recommencent les constructions de logements sociaux. Fin du 19ème et début du 20ème, il y avait déjà quelques réalisations dont les fameux Vieux Blocs ou Cité Hellemans entre la rue Haute et la rue Blaes. Ce seront ensuite successivement le complexe des Minimes, puis des Radis, les Brigittines et la Querelle.
En 1969, le quartier de la Marolle est à nouveau menacé de destruction : il s’agit, ni plus ni moins, de le raser pour y installer une extension du Palais de Justice !
Mais cette fois, les Marolliens résistent, ils engagent contre les différents ministères, une lutte qui sera connue sous le nom de Bataille de la Marolle. Les rues des Prêtres, de la Prévoyance, Montserrat et aux Laines se couvrent d’affiches, de calicots et les manifestations se succèdent. Les habitants se constituent en Comité.
En septembre, la bataille est gagnée : on ne démolira pas la Marolle. L’événement est célébré par l’organisation de l’enterrement symbolique du « Promoteur » et de la « Bureaucratie, sa fidèle épouse ». Une concession à perpétuité et une plaque commémorative leur est donnée rue Montserrat.
Depuis, les Marolliens ont mis au point un plan d’assainissement de leur quartier, plan accepté par le Gouvernement en 1974 et qui se réalise, peu à peu, depuis 1977. C’est l’Opération Pilote de Rénovation de la Marolle (OPRM).
Vingt ans après la Bataille de la Marolle, les habitants de la Samaritaine vivent des expulsions en masse. Deux immeubles accueillant des logements garnis n’offrent plus la sécurité nécessaires à leurs habitants. Le bourgmestre promulgue un arrêté d’expulsion qui a un effet immédiat. La police chasse les habitants, leur relogement n’étant pas prévu dans l’immédiat, ceux-ci décident de vivre dans la rue. La rue de la Samaritaine se couvrent de matelas, les habitants crient leur ras le bol de la lenteur des rénovations. « L’Opération Matelas » durera deux mois, la plupart des expulsés seront relogés.
En 1990, l’OPRM est au ralenti. Les Marolliens décident d’inviter sa Majesté le Roi Baudouin à la Marolle Kermis pour faire la fête certes mais aussi pour faire le point sur la rénovation du quartier. Une première pierre est posée par le souverain rue Montserrat, elle annonce la création de plusieurs logements.
Quatre ans plus tard, l’OPRM connaît à nouveau un ralentissement. A nouveau aussi, les Marolliens décident de faire appel au Roi. C’est ainsi que Sa Majesté Albert II accompagné de la Reine Paola font le point avec les habitants sur la rénovation de la Marolle. L’absence de logements décents pour les défavorisés est à l’ordre du jour de la rencontre. Ici aussi une première pierre est posée, au coin de la rue de la Prévoyance et Montserrat, annonce de plusieurs logements nouveaux.
L’OPRM touche à sa fin au début des années 2000.
Toutefois aujourd’hui le problème du logement dans les Marolles demeurent d’actualité. Les coûts locatifs ne cessent de grimper et plus que jamais le quartier risque de connaître une sablonisation ou gentrification que d’aucun aimerait voir aboutir au point de suggérer de modifier le nom du quartier qui garderait une connotation trop péjorative ou misérabiliste et de remplacer Marolles par Breughel.
Aujourd’hui, le quartier connaît son quatrième Contrat de Quartier depuis 2000. Les sociologues et urbanistes mènent une lutte pour savoir si les Marolles se gentrifient ou se dualisent. Certes l’offre commerciale a évoluée avec la disparition des commerces de proximité, des galeries d’art se sont installées, les logements privés se louent à des prix élevés. Mais la présence de logements publiques en grand nombre garantit une présence dans ce vieux quartier populaire de familles précaires.
Que sera demain ?
C’est une autre histoire.
Léopold Vereecken
Mis à jour en janvier 2022